Quelques questions sur la progression du RN en Loire-Atlantique

Quelques questions sur la progression du RN en Loire-Atlantique

Peu de départements français peuvent se vanter de n’avoir placé le Rassemblement National en tête dans aucune de leurs circonscriptions au premier tour des législatives 2024. On compte quelques départements d’outre-mer, Paris et ceux d’Ile de France, le Cantal, le Lot, la Mayenne et donc… la Loire‐Atlantique. 


Victoire, le pire est évité ! 

Or, des résultats bien plus inquiétants, et surtout une progression inédite des scores du Rassemblement National en deux ans, sont apparus dans plusieurs secteurs. En Loire-Atlantique, le RN est ainsi arrivé en tête dans 187 communes sur 207 aux européennes et 77 communes aux législatives.

Mais quelle victoire alors ? Une victoire qui illustre simplement les fractures de notre département ?

Sur quelle base politique s’appuyer quand un tel constat s’impose à nous ?

Et surtout, qu’est ce qui a poussé ces territoires à faire un virage vers l’extrême droite ?

Au lendemain des élections législatives de 2024, en analysant plus précisément les circonscriptions locales, cette victoire n’est-elle pas plutôt apparue comme un mirage, qui masque une grande fragilité du NFP ?

Trois secteurs aux typographies locales semblant s’opposer, avaient retenu notre attention tant l’évolution des résultats était importante : le Pays de Retz, le Pays de Châteaubriant et le bassin Nazairien. Le Pays de Retz est un territoire rural à faible précarité (le RN est à 32% en 2022), Châteaubriant un territoire rural isolé et à forte précarité, et le bassin nazairien un territoire urbain confronté à une forte précarité. 

Trois territoires aux profils opposés, trois territoires à comprendre et analyser. Ces territoires, il serait intéressant de les vivre, d’aller à la rencontre des habitants pour comprendre cette progression inédite et soudaine en deux ans. 

Quelles problématiques locales peuvent pousser à ce choix, lesquelles font par exemple écho à l’offre politique du parti, à son système de valeurs ou aux préoccupations qu’il met en avant ? Dans les paroles de ceux qui votent RN, comment sont-elles évoquées ?

Deux hypothèses méritent sans doute d’être étudiées. 

La première, c’est le potentiel impact, direct ou indirect, de la relégation de certaines populations en dehors de la métropole. On peut faire l’hypothèse que cette relégation et ses effets, et plus largement des difficultés qui sont liées au prix du logement et des transports, ont pu jouer sur les évolutions des votes. En effet, il s’agit de phénomènes relativement récents qui pourraient se traduire par des changements électoraux. Il s’agit alors de mettre en lumière, par exemple, la difficulté à se déplacer, notamment vers Nantes, et le lien entre les évolutions des transports et l’immobilier dans ce département si dépendant, en termes d’emploi, de la métropole nantaise. Que retenir du train-tramway reliant Nantes au pays de Châteaubriant ? Trouve t-on un constat similaire pour le trafic routier entre la métropole et Saint Nazaire ou la métropole et le Pays de Retz ?

La deuxième hypothèse est liée à l’impact du racisme : quels phénomènes observables font écho, chez les électeurs de ces territoires, au discours du RN ? On peut penser en particulier à la concurrence pour obtenir des emplois : y a-t-il une concurrence réelle ou ressentie entre des travailleurs immigrés et les travailleurs locaux ? Comment les électeurs du RN ressentent leur rapport aux personnes racisées dans le travail ? On peut par exemple analyser la pertinence de cette hypothèse dans le cas du travail détaché dans le bassin nazairien notamment, ou celui des travailleurs agricoles dans les zones maraîchères du pays de Retz. 

Quel impact de la relégation métropolitaine ?

La première hypothèse repose sur le constat d’un écart social grandissant entre la population du cœur métropolitain nantais et celles des territoires mentionnés (Castelbriantais, une partie du bassin nazairien, Pays de Retz). Par exemple, la population de la ville-centre, Nantes, compte de plus en plus de cadres et de moins en moins d’ouvriers. Mais cette dynamique de réorganisation des territoires se traduit aussi, au quotidien, par des difficultés de transport pour les personnes qui doivent se rendre à Nantes pour travailler ou pour avoir accès à certains commerces ou services publics. 

Prendre en compte ces problématiques, c’est évidemment faire le bilan des échecs des politiques de métropolisation, mises en œuvre à Nantes comme dans les autres grandes villes. Celles-ci, en renforçant l’attractivité et la centralisation de la ville-centre, ont produit des marges et des périphéries, déclassant une partie des classes populaires dans des communes éloignées des axes routiers. De fait, on observe à première vue une différence de votes entre les quartiers populaires (au sens large) des grandes villes, marqués à gauche, et les zones populaires périurbaines, qui, pour certaines, se tournent vers l’extrême-droite.

Cette question nous pousse à nous interroger sur le rapport entre augmentation du prix de l’immobilier et la montée de l’extrême droite. On parle en effet souvent du sentiment de relégation. Est-ce que ceux qui n’arrivent plus à se loger là où ils aimeraient, ou près de leur lieu de travail (souvent dans la métropole), le ressentent comme un déclassement ? Est-ce que l’arrivée de nouveaux résidents issus des classes moyennes et populaires dans de petites communes génère des tensions, ou une forme de mise en concurrence pour les locaux ? Est-ce que tout simplement, l’augmentation générale des prix du logement poussent à se tourner vers le RN, dans la mesure où c’est l’une des rares thématiques sociales qu’ils mettent en avant ?

Que retenir dans le Pays de Retz lorsque nous voyons que le prix de l’immobilier a augmenté de 26% en 5 ans à Machecoul ou de 43% dans la ville de Sainte Pazanne ?

Des constats sûrement similaires sont à constater dans des zones auparavant peu valorisées dans le département, même dans des zones urbaines comme Saint Nazaire. Là-bas le prix du mètre carré a pratiquement doublé en 10 ans, le résultat d’une politique d’attractivité des cadres au sein d’une ville ouvrière historique.

Pour comprendre le ressenti de l’augmentation de l’immobilier, il semblerait intéressant d’interroger les locaux sur le sujet, de prendre en compte le ressenti et la pression sur les catégories populaires vis-à-vis de ce sujet. Est-il lié à un sentiment de déclassement

Cette question immobilière apparaît comme un bon point de départ puisqu’elle permet de mettre en avant des sujets en découlant. En premier lieu, la question du transport, en particulier pour se rendre au travail, avec quelques points sensibles : le coût du carburant (et là encore le RN se positionne fortement), le rejet d’une “écologie punitive” à mettre en lien avec les embouteillages et les difficultés d’accès à Nantes, particulièrement au centre-ville. 

Quel impact du racisme et quel rapport aux travailleurs immigrés ?

Evidemment, les médias d’extrême-droite jouent un rôle dans la montée en puissance du parti des Le Pen : or, Nantes est particulièrement ciblée, du fait du Nantais Pascal Praud, qui tente de faire passer le centre-ville comme un coupe-gorge, en proie à une terrible montée de l’insécurité. Vu la répartition du vote RN, cela ne convainc pas forcément électoralement les habitants du centre-ville, mais plutôt ceux qui y passent ponctuellement (à noter aussi un fort vote Zemmour dans les quartiers bourgeois proches du centre).  

Le centre-ville de Nantes est probablement plus métissé qu’il y a dix ou vingt ans, et la médiatisation des occupations du square Daviais par des centaines d’exilés, il y a quelques années, a rendu visible l’immigration. 

Est-ce qu’il y a quelque chose dans le quotidien des personnes qui vivent à 40 minutes ou une heure en voiture de Nantes, qui peut aussi faire écho à cette thématique ? Qui sont les immigrés visibles là-bas ? Est-ce que le racisme se dirige contre eux, ou plutôt vis-à-vis des Nantais issus de l’immigration ? 

C’est en dénonçant les immigrés comme l’origine de tous les maux de la société que le Rassemblement National s’est fait une place dans le jeu politique. Or, en partant de cette rengaine, le RN dépeint une concurrence déloyale entre travailleurs immigrants et travailleurs français. 

Nous pouvons ainsi évoquer des sujets tel le travail détaché, phénomène essentiel à analyser dans le cadre d’une analyse d’un vote d’extrême droite. 

À première vue, les territoires où le RN progresse le plus en Loire-Atlantique, sont aussi ceux qui font le plus appel à la main d’œuvre immigrée : les travailleurs agricoles dans le Pays de Retz, les travailleurs détachés des chantiers de l’Atlantique ou de la raffinerie de Donges, les travailleurs issus de l’immigration dans les usines ou les abattoirs de Châteaubriant. 

En Loire-Atlantique, il y a même dans certains secteurs une véritable division raciale du travail : dans le maraîchage, la culture du muguet, la viticulture, les chantiers navals, le BTP, la logistique, les services à la personne, s’il n’y a pas de travailleurs et travailleuses immigrées, ces secteurs d’activité ne fonctionnent tout simplement plus. 

Quelles seraient les conséquences sur ces territoires d’une politique zéro-immigré ? Que faire par exemple du travail agricole des serres du Pays de Retz ? De l’industrie dans le bassin nazairien, ou dans le pays de Châteaubriant ?

Il faudrait probablement engager une discussion avec nos concitoyens mariligériens, pour comprendre les enjeux de nos territoires, pour sortir d’une analyse xénophobe de la question du travail, et pour mobiliser sur la question sociale.

Testons ces hypothèses

Pour cela, la discussion avec les citoyens des territoires où le RN a largement progressé est essentielle, afin de mieux comprendre leurs enjeux et craintes quotidiennes. Nous pouvons pour ce faire, au-delà de nos propres liens, nous appuyer aussi sur les enquêtes de Félicien Faury et Benoît Coquard. Le Rassemblement National a su et sait toujours capitaliser sur des craintes infondées, jouer sur la peur du déclassement social de ces territoires. Prendre en compte toutes ces peurs, les répertorier, c’est permettre une première phase de compréhension de l’explosion des résultats électoraux de l’extrême droite dans notre département.

La deuxième étape de cette enquête, c’est de dresser un tableau de l’espace politique mariligérien, d’en comprendre ses évolutions et d’en repérer les problématiques, les spécificités de chaque lieu. Pour cela, il est nécessaire de rencontrer les travailleurs, politiques, syndicalistes, jeunes locaux, qui raconteront leur territoire et ses enjeux. En menant ce type d’enquête, l’enjeu est aussi bien sûr d’aller à la rencontre des électeurs du RN, pour comprendre leur choix et leur environnement de vie.

L’objectif d’une telle enquête pourrait ainsi être de mettre en avant les questions et préoccupations des habitants de notre département, par exemple en lien avec l’immobilier et le travail. Nous nous devons de mettre en lien la mise en concurrence au travail,  et de la qualité de vie des habitants.

Faire parler, faire lien entre les locaux, c’est avant tout faire entendre une autre voix de ces territoires. Pour cela, il semble plus que nécessaire d’entendre à la fois les raisons du vote RN comme un véritable choix et pas une pure réaction émotionnelle (“fâchés pas fachos”) ; et les problématiques de fond que nous devrions travailler, parce qu’elles nourrissent directement ou indirectement ce vote – et une colère effectivement légitime. Mettre en avant toutes ces problématiques, on l’espère, aboutira sur une synthèse de ces voix et de s’en inspirer pour reprendre ces territoires

Retrouvez notre premier carnet de bord, à propos du cas de Donges. 

Si vous êtes intéressés pour contribuer à ce travail, écrivez-nous via contact@pouvoirhabitant.fr 

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